Il est sans aucun doute le professionnel du marketing le plus connu dans le monde de l’automobile. Passé par Rover, Volkswagen Group, Fiat et Renault, Stephen NORMAN a rejoint au printemps dernier l’équipe de Carlos TAVARES afin de relever un nouveau défi en devenant Directeur Métier Marketing Groupe au sein de PSA Peugeot Citroën. Quelques mois après son arrivée, Stephen NORMAN a accepté de nous recevoir pour un entretien exclusif depuis sa prise de fonction. Interview.
Automotive Marketing (AM) : Bonjour Stephen. Merci de nous recevoir et de nous accorder votre toute première interview en tant que Directeur Métier Marketing Groupe. Avant de parler plus en détails de ce nouveau poste, pouvons-nous revenir un peu sur votre riche parcours ?
Stephen NORMAN (SN) : Je savais, avant de démarrer chez Rover, British Leyland à l’époque, en 1976, que je voulais travailler dans le marketing automobile. Mon père était cadre dirigeant chez Unilever donc j’ai baigné, dès mon enfance, dans une culture commerciale. Ayant toujours été fasciné par le transport et l’automobile, le choix devenait évident et j’ai donc démarré dans l’automobile britannique. Je retiens une chose très intéressante de cette période : s’il y a bien une chose que mes compatriotes savaient faire, et je vais y revenir pour ma nomination ici chez PSA Peugeot Citroën, c’est apprendre le métier. Aujourd’hui, évidemment, on embauche des cadres dans l’automobile, particulièrement dans le marketing, à des niveaux très supérieurs à ce qu’on embauchait à l’époque dans les années 1970. Moi j’ai un Bac+3 et je suis diplômé d’une petite université en Angleterre. Aujourd’hui, nous recrutons des gens qui ont des compétences d’entrée très nettement supérieures. Si je fais le parallèle avec mon arrivée chez PSA, ce qui me fait énormément plaisir aujourd’hui à presque 60 ans, c’est de pouvoir, pour la première fois de ma vie, essayer d’enseigner le métier que j’ai appris. Je ne vous dis pas à quel point cela me fait plaisir !
Après British Leyland où j’ai appris le métier, il y a eu les années Volkswagen avec une exigence allemande qui m’a beaucoup servi. Ce n’est pas le résultat qui était la variable mais le marketing. C’est la puissance de ce groupe. Ce fut une période extrêmement riche en enseignements pour moi et, honnêtement, j’ai beaucoup appris sur l’exigence managériale. Ensuite, j’ai rejoint le groupe Fiat et j’en retiens deux choses : la réactivité, quelque chose que les italiens savent faire mieux que tout le monde. Quand il s’agit de régler un problème pour le bien de l’entreprise ou du client, c’est fait dans un délai très court. C’est un véritable point fort. La seconde c’est le lancement de la nouvelle Fiat 500. Nous avons innové en misant sur le digital, avec des moyens très limités mais avec un marketing que je qualifierais de brillant. Et je parle bien ici du travail de l’équipe dans laquelle je me trouvais. Nous avons su faire un lancement produit réussi qui a rejailli sur toute l’image de marque. Nous avons su donner l’envie de posséder une Fiat 500, ce que personne ne pouvait prévoir. Enfin, en ce qui concerne mon poste précédent de Directeur Marketing Groupe chez Renault, je résumerai en disant que c’est le début de la période où j’ai pu commencer à appliquer complètement ce que j’ai appris tout au long de mon parcours.
AM : Pourquoi avoir accepté la proposition de PSA Peugeot Citroën ?
SN : Je pense qu’il vient un moment où on commence à réaliser ses propres ambitions, on arrive à un niveau où l’on sait qu’on n’ira pas plus loin et il faut avoir la force de le reconnaître. Et, ce qui me semble être la chose la plus chère à nous toutes et tous, c’est de pouvoir transmettre ce qu’on a appris aux autres.
En début d’année, on m’a demandé si je voulais prendre un rôle transverse chez PSA Peugeot Citroën pour essayer de niveler par le haut le marketing du Groupe. C’est ce que je voulais faire, et je n’imaginais pas qu’on viendrait me le proposer. C’est donc avec un énorme plaisir que j’ai accepté. Après quelques semaines à ce poste, je suis absolument comblé par l’accueil que j’ai reçu et le potentiel du marketing au sein de ce Groupe.
AM : Votre poste est nouveau au sein de PSA Peugeot Citroën, la fonction n’existait pas auparavant. Comme le définiriez-vous aujourd’hui ? Et comment le voyez-vous évoluer demain ?
SN : C’est probablement plus facile de vous dire ce qu’il n’est pas. Je ne suis pas le Directeur Marketing de Peugeot, ni de Citroën ni de DS. Chaque marque a déjà un Directeur Marketing opérationnel. Mon rôle consiste avant tout à examiner la gouvernance du marketing dans les différents métiers : que ce soit en amont avec la recherche, l’analyse des données en passant bien évidemment par le marketing produit et en procédant vers l’aval, la communication et le digital. L’objectif est de formuler des recommandations sur cette gouvernance pour rendre notre marketing plus efficace. Cette mission est temporelle, je suis en plein dedans. Ma mission consiste aussi à voir, dans les différents pays, en fonction de la situation commerciale, pas uniquement marketing, s’il y a des recommandations qui pourraient avoir un effet à court ou moyen terme.
AM : Vous êtes en poste depuis quelques semaines maintenant. Avez-vous d’ores et déjà pu identifier des atouts et des faiblesses dans chacune des marques au niveau du marketing?
SN : Je ne pense pas qu’il y ait de faiblesses à proprement parler. PSA est un groupe solide avec des marques qui assurent la pérennité de cette force. Nous avons affaire à trois marques complémentaires. Et quand je dis complémentaire, c’est peut-être une façon plus diplomatique de dire différentes. Peugeot rime bien avec Motion & Emotion. La partie Motion je l’explique par la qualité germanique ou suisse de la marque qui est là depuis toujours et qui est omni présente. Pour la partie Emotion, je pense qu’il y a eu des périodes très fortes. Dans les années 1980, avec la Peugeot 205 par exemple. La 205 a été la Peugeot sexy, désirable. Il y a eu aussi la 405 MI16, méchante dans tous les sens du terme. Cette méchanceté alliée au côté sexy, le tout avec la notion de qualité, c’est vraiment le Peugeot que l’équipe actuelle est en train de faire renaître. La nouvelle ère se dessine avec 208, 2008, 308 et maintenant 108 et 508 phase 2. Entre les deux périodes, la partie Motion était présente mais, il me semble, sans avoir vécu Peugeot de l’intérieur, que le côté Emotion était en arrière-plan. Ce côté Emotion est très présent lorsqu’on se met au volant d’un des modèles. La 308 illustre bien ce nouveau positionnement. Dès qu’on la regarde, on se dit « c’est fantastique ». Elle vaut largement une Golf 7, il n’y a pas de doute.
Pour Citroën, la feuille de route est aussi claire mais plus tangente par rapport à la période précédente. Je ne vais pas faire le même discours produit depuis CX ou DS –mais je veux vous donner juste un exemple : lorsque j’étais Directeur Marketing de Rover, Citroën m’a prêté une ZX Volcane. Je me souviens de m’être tourné physiquement dans un virage pour regarder ce qui se passait derrière, tellement le train arrière suivait le train avant. Je n’avais jamais vécu cela. Les Citroën C1 et C4 Cactus marquent le début d’une nouvelle ère. Créative Technologie, certes, mais surtout créative selon moi. L’avenir de Citroën passe par le ciblage par exemple des professions libérales ou en tout cas des gens « free spirit ». La créativité sans négliger le côté technologique. Quand à DS, je pense que PSA a fait un travail assez unique et remarquable dans le positionnement d’une marque qui est encore insuffisamment connue mais qui, pour ceux qui la connaissent, est déjà une marque premium. Nous voulons passer de l’étape précédente à une marque premium. C’est pourquoi DS nécessite une approche marketing totalement différente de celle de Citroën et de Peugeot. La voie est clairement tracée, il y a encore du travail à fournir mais avec du temps et de l’application, nous y arriverons !
Nouvelle C4 Cactus, symbole du nouveau positionnement de Citroën.
AM : Vous disiez qu’il faut un positionnement marketing distinct de Citroën pour DS. Est-ce que cela va passer par la mise en place d’équipes dédiées à la marque et donc différenciées de Citroën ? Les mêmes gens peuvent-ils faire deux applications totalement différentes ?
SN : Je vais vous donner une réponse amusante. Je pense les deux choses en même temps. Les gens sont les mêmes dans la mesure où ce sont des êtres humains et ils sont ici. Je trouve un niveau de talent dans les métiers du marketing très élevé. Reste que l’approche premium nécessite dans l’application du marketing une concentration encore supérieure. On ne peut pas faire de l’à peu près avec du premium. Quelqu’un qui va payer le prix du premium, il faut qu’il le trouve. Imaginons que nous ayons à diffuser une publicité premium : ce qui va importer aussi, c’est là où on va la placer. C’est un très bon exercice sur DS : il y a beaucoup de travail quantitatif devant nous mais je trouve que, qualitativement, les équipes s’y sont bien prises. On doit continuer dans cette voie, amplifier le mouvement et donc procéder aux ajustements qui s’imposent.
AM : Si on prend l’exemple d’INFINITI ou Lexus qui essaient aussi de s’implanter dans le premium, on constate qu’ils ont énormément recruté dans des univers hors automobile pour avoir une vision premium autre que celle de l’auto. Y a-t-il dans les équipes aujourd’hui des gens qui viennent d’autres univers et qui ont été pris pour cette accointance au premium et pas forcément à l’automobile ?
SN : Je n’ai pas constaté cette nécessité dans ma carrière bien qu’ayant travaillé pour des marques premium telles que Range Rover, Jaguar et Audi. Et je dois avouer que je ne l’ai pas constaté ici…
AM : En Chine, DS est une marque à part entière. En Europe, elle reste encore très liée à Citroën. La séparation des deux marques va-t-elle s’accélérer ?
SN : Il y a deux pôles à parts égales dans la réussite de la marque DS : la Chine et l’Europe. La Chine, j’y suis allé à la demande d’Yves Bonnefont, le Directeur de la marque DS. J’ai constaté une excellence du marketing avec un très bon directeur et des équipes très compétentes. En Europe, DS marche fort notamment en France et en Grande Bretagne. Ailleurs, le niveau de notoriété est parfois insuffisant. Reste qu’à l’ère du digital, l’image de marque de DS va vite évoluer.
Concept Divine DS présenté au prochain Mondial de Paris et préfigurant le futur de la marque DS.
AM : Les trois marques semblent très présentes sur le digital. C’est une tendance de fond qui va se poursuivre ?
SN : Je constate ce que vous dites dans certains pays, mais pas partout. Nous devons faire un nivellement par le haut très rapidement de notre présence sur le digital. C’est une préoccupation prioritaire pour les semaines et mois à venir. En France ou encore en Chine, nous sommes très présents. Je veux ce niveau-là partout dans le monde.
Le progrès dans le digital est absolument exponentiel. Il ne suffit pas d’être présent sur le digital, il faut inciter les gens à y aller et une fois qu’ils sont présents, il faut aussi faciliter les différents types de visite. Je vous recommande un très bon exposé du CEO de Mark & Spencers. Les résultats publiés n’étaient pas ceux attendus et il a expliqué qu’avec leur nouveau site internet, certes plus beau mais moins pratique, ils avaient perdu des clients qui devaient désormais effectuer plus de trois clics pour acheter online.
Que ce soit en concession comme sur le web, il y a ceux qui veulent passer du temps et les autres qui savent ce qu’ils cherchent. En 3ème lieu, il va falloir que dans nos systèmes de lead management, on soit capable d’utiliser l’aspect commercial sans le gâcher.
AM : Vous avez testé les produits PSA Peugeot Citroën et les futurs véhicules. Le produit correspond-il à vos attentes ou y a-t-il encore des progrès à réaliser ?
SN : Si vous prenez le volant d’une Citroën C4 Cactus avec la boite auto et le siège avant type banquette, vous avez une conduite totalement différente de ce qu’on peut trouver aujourd’hui sur le marché. J’ai fait 500 km avec une C4 Cactus et je dois vous dire que j’ai eu une expérience automobile que je n’avais pas eu depuis très longtemps. Vous avez un petit sourire aux lèvres et c’est tout à fait à l’image de Citroën. La marque est un peu folle, dans le bon sens du terme. Et je trouve qu’un brin de folie, dans l’automobile, c’est une bonne chose.
Evidemment, chaque voiture ne va pas correspondre à cette recette-là. Chez Peugeot en prenant le volant d’une 308, vous êtes servi si vous êtes amateur de conduite dynamique. Avec DS, les équipes ont réussi quelque chose de magique. La voiture est splendide de l’extérieur et c’est encore plus extraordinaire quand vous ouvrez la porte. Une DS est aussi très différente à conduire des autres marques premium. Les bases du travail ont été bien posées. Il va falloir accentuer cette différenciation.
AM : Vous parliez tout à l’heure de la qualité de service. Votre métier comporte-t-il aussi le marketing Après-Vente ?
SN : Le marketing service et la qualité de service font partie de mon périmètre d’action. De même qu’on n’excuse plus aujourd’hui qu’une voiture tombe en panne, on ne tolère plus une après-vente qui n’est pas d’une qualité exceptionnelle. Et ce, en termes d’apparence et de ressenti, que ce soit dans le showroom comme à l’atelier. C’est un point sur lequel l’automobile n’est pas en avance et c’est donc un sujet sur lequel nous devons tous travailler.
AM : Lors de notre enquête annuelle sur la publicité automobile, VW s’est distinguée en devançant très largement les concurrents et notamment Peugeot et Citroën. Etes-vous attentif à cela ?
SN : Je pense qu’il y a, presque partout dans le monde, un clivage entre Volkswagen et les autres constructeurs. Si je suis immodeste quelques minutes, je pense y avoir contribué dans les années 1990. Pour nous autres constructeurs, dont PSA, nous avons un écart à combler. Mais je ne constate pas d’écart important entre les marques de notre groupe et les autres.
AM : En quelle voiture roulez-vous ?
SN : Au quotidien, j’utilise une DS5 Hybrid4. J’en suis très satisfait car c’est pour moi une voiture unique sur le marché. Elle correspond parfaitement à ce que doit être la marque DS.
Un grand merci à Stephen NORMAN pour cet entretien exclusif passionnant. Un grand merci également à Aurélie BRIOUT pour l’organisation de cette interview.
Belle exclu! Sacré parcours pour ce monsieur, j’espère que son expérience permettra d’aider à redresser le groupe. On a besoin qu’on parle de nous positivement maintenant!
Bel article Frédéric, bravo!
Bel article en effet, c’est assez rare de voir les gens s’exprimer comme ça. Et puis il a forcément un regard neuf sur Peugeot et Citroen, ce qui ne peut pas faire de mal. Dommage que vous n’ayez cependant pas plus questionner ce monsieur sur son parcours chez Renault. Pourquoi est-il parti? Et que pense t il de ce que fait Renault maintenant?
Une personne qui part de la base et qui a un parcours comme le sein inspire le respect et donne envie de travailler avec lui et d’apprendre de sa tr
Interview très intéressante à lire. Tant mieux si ce monsieur peut aider Peugeot à se redresser. Un bémol sur votre question concernant DS. Infiniti et Lexus ont mis 20 ans à se créer avec des moyens importants. Quand on voit aujourd’hui à quoi ressemble DS (3 modèles vieillissants), on ne peut qu’avoir des doutes sur cette stratégie. Je pense que DS aurait plus sa place comme une gamme luxe de Citroën plutôt qu’une marque. Peugeot a déjà du mal à gérer ses deux marques alors une troisième….
Chez VW et Renault, Stephen Norman était plus dans le paraitre que dans le fond, personnage plus egocentré qu’efficace.
Yves